Introduction

Le Christianisme et l’Islam partagent en commun la vocation de faire des adeptes, chacun selon ses propres méthodes. Les missions occidentales et les Eglises locales en Afrique subsaharienne s’attèlent à évangéliser différents groupes ethniques dans leurs zones d’interventions y compris les Peuls qui sont pour la plupart des musulmans. L’Eglise Evangélique Luthérienne du Cameroun (EELC) n’est pas de reste. Elle a depuis l’arrivée de ses premiers missionnaires entrepris le projet d’évangéliser les Peuls aussi bien que d’autres peuples. Notre étude s’intéresse à comprendre la politique missionnaire que l’EELC a développée pour faire des Peuls des disciples de Christ d’une part et la réaction des Peuls à la rencontre de l’Evangile d’autre part.  Avant de clore notre réflexion, nous jetterons un regard critique sur l’œuvre missionnaire de l’EELC envers les islamo-peuls dans la région de l’Adamaoua aujourd’hui dans le but d’envisager les perspectives d’avenir.  

Arrivée et installation des Peuls dans l’Adamaoua

Plusieurs dates sont avancées pour le peuplement de l’Adamaoua par les Peuls. Cependant, celle indiquée par Takou, (2018) qui situe l’arrivée des Peuls vers la fin du 18ème siècle dans cette vaste région propice à l’élevage en provenance du Nigeria est plus évidente étant donné que ce mouvement migratoire se déroule peu en amont du djihad lancé par Ousman Dan Fodio. Les premiers Peuls furent des nomades qui, à la recherche de bons pâturages, se sont installés de manière pacifique dans le Fombina, l’actuelle Adamaoua. Les Mbororo sont parmi les premiers éleveurs à s’installer sur les hauts plateaux de l’Adamaoua sous la conduite de Ardo Manya vers 1870 (Bone Bang et Ndounda : 2019, p.40 ; Boutrais, 1999). A leur arrivée, les Peuls acceptèrent de se soumettre aux peuples autochtones qui pratiquaient les croyances ancestrales. Il y régnait alors un climat d’entente entre les premiers Peuls et les populations locales à qui ils offraient souvent du bétail pour entretenir leur amitié (Takou, 2018). Par la suite, les nomades Peuls ont continué à peupler les différents coins de la région de l’Adamaoua qui, à l’époque précoloniale, faisait partie de l’entité géopolitique constituant l’émirat peul dont la capitale était la ville de Yola au Nigeria. Plus tard, devenus progressivement nombreux, les Peuls vont former des coalitions de grandes familles et s’organiser communément pour sortir du joug des peuples autochtones dont ils subissaient l’injustice, le vol des bétails et les brimades de toute sorte. C’est ainsi qu’il y a eu des pactes entre les différents clans peuls à savoir les Wolarɓe, Yllaga, Bâ, Badawa, Bewé et Ngara installés partout dans la région (Mohammadou Eldrich, 1978).

Les Peuls et l’expansion de l’islam dans l’Adamaoua 

Sur le plan religieux, les Peuls avaient embrassé l’islam avant de s’installer au Cameroun. Les Peuls comprenaient dans leurs rangs de nombreux érudits du Coran et de la science islamique à l’instard de modibbo Adama, le lieutenant du Chérif Ousman dan Fodio. Ce dernier est l’un des héros le plus connu de la période de la conquête islamique lancée par Ousman Dan Fodio en 1804 à partir de Sokoto au Nigeria. Modibbo Adama fut le porte étendard du djihad dans le Fombina et selon toute vraissemblance, la région de l’Adamaoua actuelle porte son nom. Cette guerre sainte (djihad) qui permit à Ousmanou Dan Fodio d’étendre les frontières du califat de Sokoto, fut une opportunité pour les peuls de se vanger de leurs anciens maîtres locaux et de prendre l’ascendance militaire et politique sur eux.  Devenus de véritables guerriers, les Peuls établirent alors leur suprématie dans le Fombina (Adamaoua) en fondant des lamidats dans les endroits à forte concentration humaine. C’est ainsi que les chefs de guerre Peuls à l’instard d’Ardo Haman Sambo créa Tibati, Haman Dandi fonda Banyo et Adama Ndjikira s’installa à Tignère (Takou, 2015, pp.93-106). Après la conquête du village Mbum de Delbé par les cavaliers Peuls, rebaptisé Ngaoundéré, Ardo Njobdi y fonda son lamidat et contraignit beaucoup d’autochtone à rejoindre la foi islamique. La guerre contre les peuples autochtones s’est poursuivie pendant de nombreuses années à telle enseigne qu’en 1850, les Peuls régnaient en maîtres absolus dans plusieurs endroits du nord du Cameroun. 

La proclamation de l’Evangile aux Peuls 

Le projet d’inviter les peuples Peuls de l’Adamaoua à embrasser la foi chrétienne entrepris par les missions protestantes, remonte au début du 20ème siècle lorsque les missionnaires luthériens américains et norvégiens posèrent leurs valises à Ngaoundéré respectivement le 22 mai1923 et le 6 mars1925. A leur arrivée dans l’Adamaoua, l’ambition de ces missionnaires était d’apporter l’Evangile de Jésus Christ aux adeptes de l’islam dont les Peuls étaient des maîtres incontestés. En effet, les missionnaires protestants installés dans l’Adamaoua, étaient influencés par la conférence d’Edinburg en 1910 qui avait recommandé entre autres la création d’une « rue d’apôtre » à travers le Soudan (Løde, 1990 : 10), autrement dit, l’établissement d’une chaîne de missions en Afrique sub-saharienne afin de stopper la progression de l’Islam vers la partie australe. Après plusieurs tentatives sans vrai succès de convertir les Peuls, les missionnaires se tournèrent vers d’autres peuples beaucoup plus réceptifs à l’Evangile à savoir les Mbum, les Dii et les Gbaya.

Il a fallu attendre deux décennies après, précisément en 1950 pour que les missionnaires Occidentaux relancent l’évangélisation des Peuls musulmans cette fois ci en ciblant les Mbororo. Ces derniers sont des éleveurs nomades liés à leurs croyances ancestrales que bon nombre d’auteurs qualifient d’animisme (Bah, 1997). Ainsi, le travail missionnaire élaboré envers les Peuls nomades ou encore Mbororo commença véritablement en 1958 au lendemain de la réunion du Conseil International de Mission tenue au Ghana en 1957 sur l’évangélisation des musulmans (Løde, 1990 : 205). Le missionnaire Syrdal fut alors le pionnier de ce travail évangélique. Dès lors les missionnaires, les catéchistes, les évangélistes et les pasteurs nationaux vont œuvrer pour faire des Mbororo des adeptes de Jésus-Christ. En en 1960 l’Eglise Evangélique Luthérienne du Cameroun (EELC), va mettra sur pied un comité dénommé « Approche Islam » chargé de diligenter l’évangélisation des peuls (Bone Bang et Ndounda, 2019). En 1962, la conférence de la Sudan Mission créa un comité d’évangélisation des Mbororo formé de trois occidentaux et deux camerounais dont le pasteur André Garba qui fut le président. 

L’évangélisation des Mbororo commença de manière concrète dans les districts ecclésiastiques de Djohong et de Meiganga où les missions avaient érigé des écoles pour ces bergers nomades. L’on y enseignait entre autres l’alphabétisation, l’histoire sainte le français, le catéchisme et la lecture de la Bible. Malheureusement, ces écoles furent fermées par opposition vive des marabouts qui n’appréciaient pas le contact des missionnaires avec les Mbororo et à cause d’autres problèmes de gestion. Ce premier travail d’évangélisation eut pour résultat le baptême de huit Mbororo qui, plus tard quittèrent l’église (Løde, 1990 : 205). Le projet d’évangélisation des Peuls connut alors un ralentissement au sein de l’EELC jusqu’à l’arrivée du nouveau couple missionnaire en 1965, Monsieur et Madame Gaustad, envoyés par la Société des Missions Norvégiennes (NMS). Le couple Gaustad travailla à Galim parmi les Nyem Nyem en compagnie de deux évangélistes. Les Gaustad utilisèrent le dispensaire comme moyen pour présenter l’Evangile aux Peuls alors que les évangélistes nationaux faisaient un travail itinérant dans différents villages. L’œuvre d’évangélisation des peuls continua au sein de l’EELC jusqu’à la création du Service des Relations Islamo-Chrétiennes (SRIC). Ce service joue un rôle important dans l’évangélisation, le discipolat, l’encadrement des persécutés et la réinsertion sociale des chrétiens d’arrière-plan musulman. 

Par ailleurs, l’évangélisation des Peuls est aussi entreprise à travers la Radio Sawtu Linjiila vit le jour en 1966 comme instrument de communication de l’Evangile en Fulfulde. C’est ainsi qu’avec la Radio Sawtu Linjiila, la mission auprès des Peuls sédentaires et nomades a pris de l’ampleur à travers la production des programmes religieux, socioéducatifs et leur vulgarisation. Les œuvres de témoignage chrétien à savoir les établissements sanitaires et scolaires ont servi d’instrument pour la proclamation de l’Evangile aux Peuls. Quoique la conversion des Peuls au christianisme ne soit pas un phénomène régulier et spectaculaire, aujourd’hui, l’EELC compte plusieurs pasteurs et de nombreux chrétiens issus de ce groupe sociolinguistique ainsi qu’un centre de formation pour évangélistes.  

Eléments bibliographiques

  • Bah, T. M., 1997, « L’œuvre d’Eldridge Mohammadou : sa contribution à l’historiographie du Cameroun », in La recherche en histoire et l’enseignement de l’histoire en Afrique centrale francophone, Colloque international, Aix en Provence, Institut d’histoire comparée des civilisations, pp. 41-61.
  • Bone Mbang Sodéa, J. L., 2005, L’EELC et l’évangélisation des Mbororo dans l’Adamaoua : 1958-2004, Mémoire de Maîtrise d’Histoire, Ngaoundéré, Université de Ngaoundéré. 
  • Bone Mbang Sodéa, J. L., Ndounda, N.N.C.O., 2019, De la religion patrimoniale au christianisme. Les Mbororo chrétiens de l’Adamaoua : entre intégration et ostracisme, in Géopolitique du fait religieux au Cameroun. Revue internationale des Sciences Humaines et Sociales (RISHS), Vol. 8, n°8, pp. 38-61
  • Boutrais, J., 1999, « La vache ou le pouvoir : Foulbé et Mbororo de l’Adamaoua », in Botte, R., Boutrais, J., Schmitz, J. (dir.), Figures peules, Paris, Karthala, pp. 247-271. 
  • Djaboule, P., 1993, « « SAWTU LINJIILA » (Voix de L’Évangile) et « les peuples et cultures » de l’Adamaoua », in Adala, H. et Boutrais. 
  • Løde, K, 1990, Appelés à la liberté, histoire de l’église évangélique luthérienne du Cameroun, Amstelveen, IMPROCEP. 
  • Mohammadou E., 1978, Les royaumes foulbé du plateau de l’Adamaoua au XIXe siècle : Tibati, Tignère, Banyo et Ngaoundéré, Tokyo, ILCCA.
  • Nelson, R. W., Bonne nouvelle pour les Foulbé, Hettinger, North Dakota. 
  • Takou, T., 2018, « Guerre, pouvoir et société dans les lamidats peuls du Nord-Cameroun : le cas du lamidat de Ngaoundéré au XIXè siècle », in Pouvoirs anciens, pouvoirs modernes de l’Afrique d’aujourd’hui, sous la direction de François Gaulme et Bernard Salvaing, Presses universitaires de Rennes, pp. 93-106. 

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